Ecologie des Relations Humaines

 

"Il est temps de ré-apprendre à coopérer."

Hervé GOUIL

une vision ecologique des relations humaines

Les relations humaines, au sein des organisations, sont rarement abordées ni même pensées en tant que telles. Elles s'apprennent "sur le tas". Chacun est sensé savoir naturellement comment se comporter et négocier avec les autres. Or, si elles sont (on l'espère) productives, elles sont également d'énormes consommatrices de temps et d'énergie.

Dans une vision étroite des organisations humaines et de leur fonctionnement, les ressources humaines sont exploitées par le management, au sens d'utilisées, voire "consommées" (on parle ainsi de salariés "jetables"). Les êtres humains sont réduits à l'état de ressources qu'il convient de rationaliser. Je propose une autre vision : une vision écologique des relations humaines.

Limites de l'industrialisation des relations humaines

Encadrées par des systèmes de rémunération, de GPEC, de gestion du temps, d'objectifs, de motivation, de relations sociales codifiées et de procédures... les relations humaines, dans de nombreuses organisations, sont priées de rentrer dans le moule de la logique industrielle, qui entend, par des procédés techniques, fabriquer à grande échelle  - et à moindre coût - ce qui se faisait auparavant de manière artisanale. La dimension sensible des êtres humains - leurs besoins et leurs facultés de lien, de relation, de sens, de reconnaissance, de jeu, de poésie, de créativité, d'épanouissement personnel - passent en pertes et profits.

Pour autant, et fort heureusement, ces besoins et ces facultés existent, têtus. Sauf dans quelques start-up  innovantes, ou dans certaines entreprises mythiques du luxe ou de la sphère Internet, ils sont ignorés, classés - un peu vite - parmi les sujets ne relevant pas de la sphère professionnelle, sinon parmi les mirages de la mode new-age. Ils sont relègués au rang de luxe dont les organisations "normales", sous les effets de la crise, n'ont soit-disant pas le loisir de se préoccuper. C'est pourquoi ils ressurgissent, immanquablement, sous des formes incontrôlables.

Facultés et besoins de relations s'expriment... qu'on le veuille ou non

Que d'énergie perdue en futiles polémiques, en incompréhensions entre les personnes, en réactions émotionnelles ! Que de temps passé à défaire et refaire ce qui a été fait trop vite, "à l'arrache", sans avoir pris le temps de vérifier la compréhension et l'assentiment des acteurs concernés, ou à l'inverse à rechercher systématiquement le consensus, y compris lorsqu'il n'est ni possible, ni requis ! Que de dépenses en absentéïsme, en assurance maladie, en dysfonctionnements divers, dûes au sentiment d'épuisement de nombre de salariés, au fameux "manque de reconnaissance" dont on peine à comprendre ce qu'il recouvre ! Que de plaintes des managers d'avoir à gérer des "personnalités difficiles" ! Que d'incendies par mails interposés, "en copie à tous", qui démarrent sur une étincelle, font des ravages en deux fois rien de temps, et remontent polluer l'ordre du jour des réunions et des dirigeants ! Partout, le manque d'attention aux relations humaines conduit à des situations de tension, de conflit et peut même aller jusqu'au blocage complet. Pour l'avoir moi-même vécu dans l'entreprise, pour l'avoir entendu à longueur de stages de la bouche des managers que j'ai formés, pour le lire à longueur de blogs et d'articles sur la qualité de vie au travail, l'exploitation des ressources humaines gagnerait fort, aujourd'hui, à devenir plus écologique.

Une "vision écologique" des relations humaines : de quoi s'agit-il ?

Par essence, l'écologie s'interroge sur la façon d'aborder l'étude des systèmes complexes. Une entité complexe est composée d'éléments différents, qui sont en interaction, et qui se combinent d'une manière qui n'est pas immédiatement saisissable : la complexité d'un système est dans l'œil de l'observateur. Cette idée que la notion de complexité est indissociable de la perception n'est pas neutre : elle renvoie à l'importance du choix des niveaux d'observation du système étudié. En écologie, il n'existe pas d'échelle pour observer tous les phénomènes. Un des enjeux majeurs de l'écologie est de pouvoir prendre en compte la multiplicité des échelles d'étude afin d'intégrer, lors d'une phase appelée "transfert d'échelle", chacun des phénomènes étudiés à leurs niveaux spécifiques.

De même, l'écologie des relations humaines s'attachera à distinguer, sans les séparer, les phénomènes relationnels à différents niveaux : ceux liés aux individus, dans leurs rapports avec eux-mêmes et avec leurs fonctions, ceux liés à leurs inter-relations au sein des organisations, ceux enfin liés à leurs perceptions de leur environnement professionnel et culturel. Il s'agira de distinguer la forme du fond. Il s'agira de relier chaque phénomène à son niveau spécifique, sans les confondre, ceci, en vue d'intervenir de manière souple, habile et économique, et en vue de préserver un juste équilibre entre les besoins des personnes et ceux du collectif.

Une simplicité loin d'être évidente

Souvent, les interventions ad-hoc relèveront apparemment, une fois identifiées, comme dans l'écologie, du simple  bon-sens. Une simplicité qui est pourtant loin d'être évidente au premier abord. Il s'agira par exemple de veiller à formuler certains messages jusqu'ici implicites,  à informer clairement, suffisamment, et surtout de la bonne manière, à mettre en place des temps et des lieux de rencontre un peu différents, à offrir des espaces pour réfléchir et se former... Une exploitation écologique des ressources humaine, c'est une manière plus respectueuse des besoins des personnes dans leur diversité de conduire les équipes, plus économique en "coût psychique", plus "ergonomique", au sens d'adaptée à la "forme" de l'être humain. C'est une volonté et une manière de faire moins gaspilleuse de talents et d'énergies, qui vise avant tout à permettre aux facultés et à l'intelligence des individus comme du collectif de s'épanouir. C'est considérer les salariés comme des sujets, dotés de besoins et de compétences qui leurs sont propres, mûs par leurs propres choix et donc responsables, et non plus comme des objets qu'il conviendrait de savoir gérer, motiver, voire manipuler. C'est donc remettre les relations humaines au coeur même des questions d'organisation et de management.

Deux logiques différentes et complémentaires

L'une des clés de cette exploitation écologique des ressources humaines est de veiller à approcher projets et problèmes par deux logiques différentes, trop souvent malheureusement opposées l'une à l'autre au lieu d'être envisagées comme complémentaires. 

L'une, masculine, recherche la compréhension des lois à l'oeuvre, l'efficacité et le résultat. Elle s'attache à résoudre les problèmes, concrets ou abstraits, par la réflexion et par l'action. C'est une intelligence du « pour quoi », encore considérée, bien que les choses commencent à évoluer, comme la seule "vraie" intelligence.

L'autre, féminine, est celle du lien, de la relation, de la présence conjointe d'éléments différents voire contradictoires, et de leurs compositions harmonieuses ou cacophoniques, souvent assimilée à l'art, à la poésie ou au génie. C'est une intelligence du « comment ».

Reconnaitre et conjuguer harmonieusement en nous tous, hommes et femmes, la présence de ces deux formes d'intelligences, relier l'intelligible et le sensible : c'est à la fois le but et le chemin proposé.

 

L'enjeu est de taille. Les coûts sociaux des soi-disant économies faites en évitant de se pencher sur ces questions sont énormes : démotivation, absentéisme, mal-être au travail, défiance des jeunes générations, burn-out... Nous n'avons plus guère le loisir, aujourd'hui, d'éviter de chercher comment entrer en relation sage et habile avec autrui, avec nos organisations, avec nous-mêmes.